Par Isabelle Cadière

extrait de son mémoire publié en 2002

 »Femmes de radio et mouvement féministes 1967-1985 »

Supernana débarque sur les ondes au début de l’année 1982. Elle fait ses débuts à Carbone 14. La radio, connu pour ses excès en tous genres, est une des plus célèbres de la FM parisienne. Fondées par Gérard Fenu en spetembre 1981 (il a passé une annonce sur Libération), elle est décrite ainsi par Libération:


« L’une des radios les plus inventives et les plus drôles,
et l’une des rares à réinventer le langage des ondes »


En effet, Carbone 14 multiplie les  »coups » pour attirer l’audience, grâce en particulier à son directeur des programmes : Michel Fizbin. Suicide d’une femme en direct (700 appels téléphoniques dans la nuit d’après Libération), scène de ménage entre des énimateurs qui n’ont pas coupé leurs micros, un couple d’auditeurs faisant l’amour dans les studios, en direct, séquestration de Jean-Edern Hallier ou encore annonce de la mort de Mick Jagger font parler de la radio. Mais tout est truqué. Les animateurs font aussi les comédiens pour attirer l’auditeur qui saisi, reste à l’écoute. Un pigiste de Libération se fait piéger lui aussi par la scène de ménage entre les animateurs. Olivier Salvatori qui a interviewé pour son article Michel Fizbin dénonce ces impostures :


« C’est déjà assez de se débattre avec la vérité des faits, têtus et obtus comme un casse-tête chinois,
pour ne pas s’enchifrener avec les facéties canulardes d’auto-proclamés journalistes.
Que des jeunes gens épris de théâtre, genre fourberie et bouffoneries, s’emparent d’une radio gratuite, c’est leur affaire.
Qu’ils érigent le coup monté en B.A.BA de la conquête d’audience, c’est encore leur affaire, encore que l’on touche déjà ici
les prémisses de la paroles bien comprise : au théatre, on paye pour vivre les émotions de l’illusion.
Sur mégahertz, on est piégé, si pas prévenu. Carbone 14 ne prévient pas, même pas après. Mais que hors-antenne,
ces gens fort immodestes n’aient pour unique souci que de fausser les cartes et, notamment,
de piéger les journalistes, c’est plus que du badinage. Du baratin, du magouillage. »

Quelque peu aigri de s’être presque laissé mener en bateau, il fustige l’attitude de Michel Fizbin :

 

« Rien de ce qu’il m’a dit n’est dès lors crédible. Sauf peut-être ceci :
<< La seule moralité de la radio est qu’elle est ce que nous sommes>>
Rien de ce qu’elle n’est crédible. LA scène de baise en public qui fait les gorges chaudes de la presse
d’hier matin comme le reste. »


Et de conclure :

« Porté par votre mouvement propre, il faudra bien, un jour, que vous fassiez un coup pour de vrai.
Et il est à parier que ça vous démange de réussir cet amour en direct.
Malheureusement, ce jour-là personne ne vous croira. A trop crier le loup… »


En dépit de ses mensonges – et certainement grâce à eux – Carbone 14 a du succès.
Ses animateurs ont inventé le canular radiophonique et exploitent le filon. Jean-Yves Lafesse qui y travaillait à l’époque continue sur cette voie encore aujourd’hui et le succès est au rendez-vous.

 

Catherine Pelletier devient Super Nana

 

C’est dans cet univers que débarque Super Nana en avril 1982. Dès 1981, elle s’intéresse aux radios libres et les écoute. Elle s’enthousiasme pour cette nouvelle façon de communiquer :
« On y parlait comme dans la vraie vie »

Un soir, alors qu’elle l’émission de Lafesse sur Carbone, une femme téléphone et se plaint d’être grosse et malheureuse. Jean Teulé, invité de l’émission ce soir-là « se met à débiter des horreurs sur les grosses ». Super Nana, elle-même assez corpulante s’empresse de téléphoner pour dire qu’elle aussi est grosse, qu’elle fait l’amour et qu’elle est belle. Elle ajoute « et je vais vous le prouver : j’arrive » Elle prend le taxi pour se rendre aux studios de Carbone 14 à Nanterre. Le temps qu’elle y arrive, Jean Teulé a filé et une autre émission a déjà commencé. Au milieu des locaux de la radio, Super Nana alors que c’est ce qu’elle veut faire : de la radio. Et elle n’en démordra pas.

 

« Je suis revenue le lendemain, puis le surlendemain, tous les jours, car je voulais avoir une émission. Les gens de Carbone 14, qui étaient en majorité des mecs, m’en
voyaient parler à une personne qui me renvoyait à une autre, etc…
Personne ne voulait prendre de décision. Mais un jour, j’ai croisé le financier de la radio (Gérard Fenu) dans les couloirs. Il m’a dit :
Qu’est-ce que vous voulez ?
Faire de la radio
Oui, mais quoi ?
Je veux parler aux gens
Mais de quoi ?
Je n’avais pas d’idée précise alors j’ai dit : « de sexe ». Il m’a répondu :
« OK ! Ta première est samedi à minuit. » »


Catherine Pelletier, puisque c’est son véritable nom, n’a aucune expérience en radio, sinon un grand sens de la répartie. Elle a commencé à travailler dès l’âge de 16 ans dans une banque.
A peine 2 ans après ses débuts dans la comptabilité, les employés entrent en grève et elle se retrouve au coeur du mouvement. Dès lors, elle s’investit dans le syndicalisme – à la CGT – et va grimper les échelons. Cette activité de militante syndicale l’amène à rencontrer des groupes de femmes issus de divers syndicats et entreprises. Consciente des inégalités persistantes entre hommes et femmes, Super Nana a une forte sensibilité féministe, sans toutefois adhérer au mouvement des femmes. Au sein de la banque et en tant que responsable syndicale, elle a eu à défendre des femmes qui, à responsabilités égales, gagnaient moins que les hommes et réclamaient le même salaires.

Elle participe à sa première manifestation féministe en 76 qui s’intitule « Femmes, prenons la nuit ». Il s’agit pour les femmes présentes de se réapproprier les rues de Paris, qu’elles ne fréquentent guère en pleine nuit à l’ordinaire. Un Sex-shop situé sur le trajet de la manifestations, boulevard Magenta, irrite les participantes et certaines cherchent à le détruire. Super Nana fait partie des casseuses. Les dirigeants de son syndicat savent qu’elle a participé à la destruction de ces sex-shop mais ne lui en tiennent pas rigueur sur le moment. Ce n’est que quelques semaines plus tard qu’ils lui font comprendre qu’elle n’est plus à sa place. On lui « conseille » de se retirer car face à de trop grandes responsabilités, elle risque de « craquer ». Super Nana, alors agée de 22 ans, décide de tout plaquer : le syndicat, mais aussi son emploi à la banque. Elle sillone les routes de France pour vendre des bijoux qu’elle fabrique elle-même, sur les plages. Une vie de « baba-cool » en somme. Puis elle revient dans la région parisienne et rencontre des gens de théâtre. C’est pas leur intermédiaire qu’elle devient attaché de presse de la maison de la culture de nanterre. Lorsqu’elle découvre Carbone 14, elle abandonne à nouveau son travail pour se lancer dans l’aventure. Il ne’st pourtant pas facile d’expliquer ses choix à son entourage. A moitié noble, à moitié originaire du Nord, sa famille ne comprend pas qu’elle quitte une situation professionnelle stable pour la radio, libre qui plus est. La situation des journalistes et animateurs des radios libres est en effet très précaire à l’époque. Sa mère va la soutenir financièrement ainsi que Gérard Fenu (« financier » de Carbone 14) qui lui « donne un petit billet de temps en temps ». Elle sera même aidée par Fabien Ouaki, PDG du groupe Tati. Un mécène en quelque sorte.

Dès ses premières émissions, Catherine Pelletier cherche un pseudonyme, comme ses collègues (Lafesse, David Grossexe, etc). Au départ, c’est La Femme, cela devient la Meuf puis La Nana et enfin Super Nana en réfèrence à la chanson de Michel Jonasz. Elle se justifie dans Libération le 17 novembre 1983 : <<On est toutes des super nanas. Seulement certaines n’osent pas le dire>> <<Ce nom était une provocation en soi>> affirme-t-elle. Et les hommes, majorité des auditeurs de Carbone 14, n’hésitent pas à la provoquer. Mais Super Nana a de la répartie et ne se prive pas de leur répondre avec beaucoup d’assurance et sans aucune gêne.

 

<<Par exemple, au début, un type me disait <<je vais t’enculer>>. Alors moi, je répondais
<<ok, viens, je t’attend, t’auras jamais les couilles !>>
et je donnais l’adresse de la radio.>>


Si Super Nana ne fait que répondre à des provocations, elle le fait avec un certain talent qui lui vaut la sympathie des auditeurs et plus particulièrement des auditrices. Mais elle ne fait pas l’unanimité : on la trouve vulgaire, obscène.

<<Je parlais normalement de tout, j’appellais les choses par leur nom, c’est tout !
Je ne comprenais pas réellement l’impact que ça pouvait avoir.(…) J’étais très critiquée pour ça.
Au début, j’essayais de me justifier puis après… Basta !>>

 

L’essentiel, c’est qu’on l’écoute et qu’on parle d’elle. Et si elle est « vache » quand un auditeur l’agace ou la provoque, elle se laisse attendrir et va jusqu’à donner des conseils quand un auditeur appelle pour lui confier ses malheurs.


<<Je ne voulais pas être mise dans une case. Souvent, les mecs nous mettent
dans des cases : emmerdeuse, pute, mère, etc… Je voulais être tout à la fois.>>

 

La fin de Carbone 14

 

L’aventure pourrait durer, mais Carbone 14 ne fait pas partie des radios autorisées par la commission Holleaux à émettre sur Paris. Elle redevient illégale en continuant d’émettre. Le 21 juillet 1982, Libération s’intérroge : <<Qui se soucie de Carbone 14 ?>>

 

<<La comission Holleaux ne leur a, pour l’instant, accordé aucune dérogation et d’une certaine façon,
ce sont eux les plus oubliés de la bande FM, car partout on s’est appesenti sur le sort de RFM et de Fréquence Gay sans jamais mentionner sur le papier l’une des plus vivantes de Paris.>>


Dans cet article, Super Nana affirme <<Mais qui peut croire que Carbone 14 va cesser d’émettre ? (…)
Il est impensable que nous disparaissions>> et Gérard Fenu d’ajouter :

<<La provocation dérange, mais nous faisions du bon boulot et nous sommes reconnus.
Pour la musique, il y a déjà FIP, pour la culture, France Culture,
mais comment remplacer Carbone ?>>

 

Et pourtant, la radio saisie, mais l’année suivante, vraisemblement le 14 ou le 16 août 1983.


<<On peut dire qu’aujourd’hui, avec le recul, qu’on a inventé beaucoup de choses.
J’aime bien quand il se passe des « trucs » pour la première fois. Là, on innovait,
on était au top. Carbone 14 n’était pas une radio qui pouvait s’installer>>

 

D’après son « égerie », Carbone 14 devait donc être éphémère et c’est ce qui se passa. Mais si la radio s’arrête, Super Nana, elle, n’en reste pas là. Après la saisie, elle est hébergée par Radio Ici et Maintenant, 2 soirs par semaine de 23h à 2h du matin. Elle devient directrice des programmes de Radio Aligre à Paris en 1990 et reprend parallèlement son travail d’attachée de presse. Elle est ensuite embauchée par Skyrock. En 2002, elle fait son entrée dans le Who’s Who… Une consécration ?

Super Nana s’est imposée dans l’univers de la radio grâce à sa force de caractère. Pas facile de s’intégrer dans une radio essentiellement composée d’hommes, parmi les plus machistes qui plus est. Mais c’est sans compter sa détermination..